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04 Feb

Les empêcheurs de collectionner en rond 2 : le droit de préemption

Publié par Le proprio  - Catégories :  #oeuvres d'art, #préemption, #Etat, #droit de propriété, #expropriation, #transfert de propriété, #Mazarin, #Rijsk Museum, #Rouillac

Parmi les bonnes intentions aux effets pervers, citons le droit de préemption en matière d’œuvres d'art.

Tout d'abord, un petit rappel liminaire.
Un principe du droit civil français consiste à transférer le droit de propriété dès accord sur la chose et son prix. D'autres systèmes juridiques voisins ont opté pour d'autres principes tels que le transfert à la livraison. Ce principe peut cependant être modifier selon la volonté des parties au contrat de vente.
Or, certaines lois prévoient que, malgré la vente et le transfert de propriété, la puissance publique peut se substituer a posteriori à l'acheteur! Dans certaines matières, même, l'autorité publique peut tenter de négocier un prix inférieur à la première vente!


Il conviendrait donc, en théorie, que le prix soit remboursé à l'acheteur. Cependant, formellement, l'exercice du droit de préemption est souvent "purgé" avant la signature des actes définitifs, la purge devenant dès lors une condition suspensive au transfert du droit de propriété.

N'empêche: le problème demeure : une loi en contredit une autre. En théorie encore, une loi spécifique peut contredire un principe général et le primer. Ouf! le droit de préemption est sauvé, bien qu'il vole un principe général du droit des contrats.!

Pourtant, en l'absence de purge préalable de cette prérogative de puissance publique, l'analyse juridique conduit immanquablement à qualifier la préemption comme une expropriation de l'acheteur, qui, venant d'acquérir, n'avait aucune intention de devenir vendeur... Les termes "substitution" ou "subrogation" sont donc simplement inexacts. Une telle expropriation est censée être autorisée par le seul pouvoir judiciaire. Mais bon, on ne va pas demander au législateur de respecter le droit. Pas en France, du moins.


Allez! pour la bonne bouche, une autre violation d'un principe légal : la liberté contractuelle, c'est-à-dire, entre autres, le choix de vendre à la personne de son choix. Mais, direz-vous, dans les ventes publiques, la personnalité de l'acquéreur importe peu...
Sachant que l'acheteur, propriétaire par l'effet de l'adjudication (et titré aux termes du procès-verbal d'adjudication), doit régler intégralement le prix de vente. Il doit donc être remboursé, puis l'Etat paye (une deuxième fois!) le vendeur. Complexité nécessaire car rembourser l'acheteur reviendrait à reconnaître la vente originelle et l'expropriation irrégulière...

Précisons que la loi, votée par d'éminents députés, consacre cette hérésie intellectuelle et juridique qu'est le droit de préemption. Ainsi, l'article L. 212-32 du code du patrimoine dispose que "la déclaration par l'administration des archives qu'elle envisage d'user de son droit de préemption est faite, à l'issue de la vente [...]". Effarant!
Et les juristes là dedans? N'essayons pas de remettre en cause ce que l'on a appris avec discipline. Si tout le monde l'accepte, c'est bien comme ça.
Enfin, on peut rappeler une petite chose - trois fois rien : le droit de préemption viole le droit de propriété, qui est un droit de l'Homme garanti par... l'Etat!

Or donc, dans le domaine de l'art, l'Etat bénéficie d'un droit de préemption aux termes des articles L123-1 et suivants du code du patrimoine. Cette prérogative exorbitante s'applique tant aux ventes publiques que de gré à gré.
Un mécanisme d’information préalable de l’administration est organisé. Enfin, déclaration est faite par l'autorité administrative qu'elle entend éventuellement (!) user de son droit de préemption. L'éventuelle décision de préemption doit être notifiée dans un délai de quinze jours. Observons que, le législateur n'ayant pas cru bon de préciser à qui la notification devait être effectuée, un contentieux est né et le conseil d'Etat a dû préciser à la place de ce dernier, qu'il s'agissait du commissaire priseur.

Ce droit de préemption doit permettre de conserver sur le territoire des œuvres d'art importantes du patrimoine national. Objectif louable, certes, mais qu'en serait-il de la préemption d’œuvres dont la propriété est douteuse, telles que les vols de guerres et spoliations de toute sorte? Par ailleurs, une œuvre d'un artiste étranger fait-elle partie du patrimoine français? Autrement dit, il s'agit de s'interroger sur la représentativité d'une œuvre au regard de l’identité culturelle française.

Un effet regrettable du droit de préemption en matière d'art est de limiter la valeur des biens. En effet, des collectionneurs fortunés, même passionnés, ne se donneraient pas la peine de participer aux enchères s'ils apprenaient que l'Etat a, quel que soit le prix, l'intention de préempter. Bonne affaire pour ce dernier car le montant des adjudications s'en ressent mécaniquement. Et tant pis pour l'acheteur, il n'avait qu'à conserver son bien. Et s'il était obligé de vendre, tant pis aussi!

Qui plus est, si la préemption n’est pas confirmée, certains peuvent être portés à croire que l’œuvre est sujette à suspicion quant à sa qualité, voire son authenticité.


On le voit, l'existence du droit de préemption étatique en matière d'art peut venir troubler le marché de l'art en plus de laisser des collectionneurs ou des commerçants frustrés. Si les musées publiques sont parmi les meilleurs gage de conservation d'une œuvre, celle-ci sortira du marché, qui s'assèchera encore plus vite que par le jeu des véritables achats, dons, legs et dations en payement. Un marché, depuis les créateurs jusqu'au consommateur, doit être liquide s'il veut être économiquement dynamique.

En pratique, ce droit est peu utilisé et d'aucuns remettent en cause son utilité. Le problème principal est bien sûr de payer le prix et vues l'état des finances de l'Etat...

Un exemple récent de renonciation au droit de préemption est intervenu lors de la vente du coffre à vêtements en laque du Japon ayant appartenu à Mazarin. Son prix était très élevé et le caractère patrimonial national concernait plutôt la Hollande, l'Etat français a laissé tranquille le Rijsk Museum acquéreur le 9 juin 2013 pour 7,31 millions d'euros (les commissaires-priseurs de l'étude Rouillac à Vendôme ne l'avaient estimé que 200.000 €!).

Devant le coffre de Mazarin : la clâsse... - Crédit photo : étude Rouillac

Devant le coffre de Mazarin : la clâsse... - Crédit photo : étude Rouillac

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À propos

rencontres entre collectionneurs et amateurs d'art